Aux origines de l’art fantastique

Peinture, littérature, philosophie…
Le magnifique livre de Werner Hofmann embrasse dix siècles de création et de pensée pour saisir la spécificité de
l’art fantastique.

A contempler les très belles images de l’Art fantastique, on risque de négliger les textes. Ce serait dommage. D’autant que le travail de Werner Hofmann offre un remarquable effort de synthèse, émerveille par son érudition et fascine par son sujet sur lequel bien des historiens et écrivains ont déjà écrit. Qu’est-ce qui définit l’essence de l’art fantastique? Simple à formuler, la question suscite néanmoins des réponses multiples. Loin de s’en tenir à la dialectique qui oppose depuis toujours deux visions du monde, l’une ordonnée et rassurante, l’autre chaotique et inquiétante, Werner Hofmann analyse ce concept mouvant sur une période de dix siècles, du Haut Moyen Âge à l’époque contemporaine.

Comme point de départ à sa réflexion, le spécialiste du romantisme et de la caricature s’appuie sur deux lettrines du XIIe siècle représentant deux moines en train d’abattre un arbre. La première, un « I », par sa géométrie verticale, montre les personnages sur le même plan : c’est l’incarnation de la mimésis, de l’ordre, de l’objectivité, de la raison. La seconde, un « Q », impose une déformation visuelle car les moines n’apparaissent plus sur le même plan : Hofmann y voit l’irruption des premiers signes de la métamorphose du réel, le produit de l’imagination. C’est le fantastique, « un instrument de contradiction qui permet de s’affranchir des déterminations et des limites de la rationalité, c’est l’esprit hérétique, l’esprit de perception du monde comme labyrinthe et comme énigme ».

Ce principe ouvre la porte à une impressionnante lignée d’artistes (Bosch, Boticelli, Brueghel, Dürer, Arcimboldo, Piranese, Goya, Füssli, Blake, Callot, Odilon Redon, Kubin, Dali, Magritte, Ernst, Picabia…), d’œuvres et de motifs (grotesques, antimondes, abîmes, perspectives détournées, fantaisies macabres, débordements maniéristes ou surréalistes). La qualité de Werner Hofmann est d’établir des passerelles – parfois surprenantes – entre les artistes en quête d’une réalité autre. La partie la plus intéressante de son ouvrage demeure celle traitant du XIXe siècle en Europe. A côté, le XXe siècle semble un peu expédié et moins convainquant. Il n’en reste pas moins que ce livre ambitieux est précieux à tous les sens du terme et que ceux qui n’y verraient qu’un ornement de table basse auraient bien tort de ne pas l’ouvrir.

Sandro Boticelli, "l'Enfer de Dante" (XV, 3)

Max Ernst, "le Jardin de la France"

  • Werner Hofmann, l’Art fantastique, Imprimerie nationale, 2010.

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