Jungle urbaine

« Il y a peut-être, à dix pieds en dessous du sol, les ruines d’un autre fort, rasé par les barbares, peuplé des os de gens qui croyaient trouver la sécurité derrière de hautes murailles. Foulant aux pieds le sol du palais de justice, si c’est un palais de justice, je marche peut-être sur la tête d’un magistrat comme moi, d’un autre serviteur grisonnant de l’Empire, tombé dans l’arène même où s’exerçait son autorité, face à face – enfin – avec les barbares. Comment le saurais-je? En fouissant comme un lapin ? Les caractères des languettes me le diront-ils un jour ? Dans le sac, il y avait deux cent cinquante-six languettes. Est-ce un hasard s’il s’agit d’un nombre parfait ? La première fois que je les ai comptées, je m’en suis aperçu, j’ai débarrassé le sol de mon bureau et je les ai disposées, d’abord en un grand carré, puis en seize carrés plus petits, puis en d’autres combinaisons, me disant que ce que j’avais pris jusque-là pour les caractères d’un alphabet pouvait constituer en fait les éléments d’un tableau dont les contours me sauteraient aux yeux si je tombais sur la bonne disposition : une carte du pays des barbares, tel qu’il était au temps jadis, ou la représentation d’un panthéon révolu. »

  • J. M. Coetzee, En attendant les barbares [1980-1981], Points, 2000.

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