Vive la liberté ! Vive l’esprit critique !

Dans Paris, le 11 janvier 2015. Mobilisation historique en hommage aux victimes de l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo et des prises d’otages qui ont suivi. Près de 4 millions de personnes ont manifesté en France.
Tous unis contre l’intolérance, l’ignorance, le fanatisme. Maintenant, il faut continuer, ne pas baisser la garde.

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Solidaire

Charlie

Mercredi 7 janvier 2015, à 11h30, le siège du journal Charlie Hebdo est la cible d’une attaque terroriste.
Douze personnes ont été assassinées :

Ahmed Merabet (agent de police)

Elsa Cayat (psychanalyste et chroniqueuse)

Jean Cabut, dit Cabu (dessinateur)

Bernard Verlhac, dit Tignous (dessinateur)

Mustapha Ourrad (correcteur)

Stéphane Charbonnier, dit Charb (dessinateur)

Michel Renaud (ancien directeur de cabinet du maire de Clermont)

Bernard Maris (économiste et chroniqueur)

Franck Brinsolaro (brigadier au service de la protection)

Georges Wolinski (dessinateur)

Frédéric Boisseau (agent d’entretien)

Philippe Honoré, dit Honoré (dessinateur)

Ceci n’est pas un Magritte

… mais y ressemble fort.

Joel Meyerowitz-Provincetown-1982

Joel Meyerowitz, Provincetown, 1982.

Gargantuesque

plats jours grece

Dans une rue du Pirée, à Athènes.

Le chef a l’esprit de famille.

Rébus magique

max ernst_au premier mot limpide

Max Ernst, Au premier mot limpide, 1923 
(ancien tableau mural de la maison de Paul Éluard à Eaubonne).

Ce tableau est dominé par un mur d’une teinte brun-rouge, qui barre largement la vue sur le fond bleu. Une main féminine se glisse par l’une des deux étroites ouvertures. De ses doigts croisés, elle tient une boule ou un fruit rouge. Celui-ci est attaché à un fil suspendu au mur par des clous, fil qui dessine une forme de M. Associé au « X » des doigts, on peut y voir la signature en monogramme de Max Ernst. Mais le motif des doigts, qui se rattache à l’illustration d’un tour de magie, rappelle également des jambes de femme croisées – image de la séduction, à l’instar des baies rouges. Une mante religieuse, symbole de comportement sexuel agressif, tire sur l’autre extrémité du fil.

Cette représentation, conçue comme une sorte de rébus magique, faisait partie d’un cycle de peintures murales que Max Ernst avait réalisé en 1923 dans la maison du poète Paul Éluard. L’artiste, qui avait entretenu une liaison avec Gala, l’épouse d’Éluard, à l’époque où il vivait encore à Cologne, a créé à Eaubonne une œuvre chargée d’une symbolique érotique éminemment personnelle. Il est fort probable qu’il a intégré dans les motifs de son cycle mural quelques allusions au ménage à trois qu’il formait avec le couple Éluard.

La maison des Éluard a été vendue par la suite. Il a fallu attendre la fin des années 1960 pour que les peintures, recouvertes de papier peint, soient retrouvées, détachées du mur et transférées sur toile. Les titres actuels sont empruntés à des poèmes de Max Ernst qui, parallèlement à son œuvre de plasticien, a également laissé une importante œuvre écrite.

  • Rétrospective Max Ernst, à la Fondation Beyeler, à Bâle, jusqu’au 8 septembre 2013.

Mark Rothko sur son œuvre

« Mes tableaux peuvent avoir deux caractéristiques. Soit leur surface se dilate et s’ouvre dans toutes les directions, soit elle se contracte et se referme dans toutes les directions. Entre ces deux pôles, on trouve tout ce que j’ai à dire. »

« Chaque forme, chaque espace qui n’a pas la pulsion de la chair et des os, la vulnérabilité au plaisir et à la douleur n’est rien. Toute peinture qui ne témoigne pas du souffle de la vie ne m’intéresse pas. »

« A ceux qui pensent que mes peintures sont sereines, j’aimerais dire que j’ai emprisonné la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de leur surface. »

« L’art recèle toujours des évocations de la condition de mortel. »

  • Citations de Mark Rothko (1903-1970), notées lors de la rétrospective sur son œuvre au musée d’Art moderne de Paris, en 1999.

L’importance d’être bien chaussé (pour battre le pavé)

Usher (Arthur) Fellig, alias Weegee, a passé des nuits sans sommeil son appareil photo à la main. Pas seulement dans le but de traquer des faits divers et des scènes de crime qui nourriraient la presse. A côté des arrestations, meurtres, accidents, incendies et autres drames nocturnes saisis sur le vif dans les rues de New York, il a aussi immortalisé l’envers de la vie hollywoodienne. Ses fêtes somptueuses, ses danseuses, ses stars et tous ceux qui voulaient croquer une part de ce gâteau trop crémeux, qu’ils soient spectateurs ou invités des soirées mondaines. Comme toujours, Weegee appose son regard précis et décalé sur le monde. Illustration avec cette photo de 1951 où il y a visiblement une paire de chaussures en trop qui suscite toutes sortes de questions. Sous le cliché, on peut lire : « Cet homme se demande comment il va regagner le Hollywood Hotel. » Si la voiture attendue n’arrive pas, certainement à pieds. Un peu comme Robert Mapplethorpe qui, dans une anecdote rapportée par Patti Smith dans son récit Just Kids, avait récupéré une paire de chaussures de luxe en alligator sur la 7e Avenue, à New York : « Il n’avait pas d’argent pour rentrer en taxi, mais ses pieds étaient resplendissants. »

Photo : Weegee/International Center of Photography/Getty Images.

Ouvrez l’œil…

…sur ce qui vous entoure, comme ces dessins affichés sur les murs du 20e arrondissement de Paris, rue des Prairies.

L’indignation en bas de chez moi (suite)

Dans sa dernière campagne publicitaire, McDo se targue d’enseigner à ses employés le respect des consignes d’hygiène. Pousse-t-il cette logique jusqu’à leur apprendre aussi l’indifférence envers les citoyens en détresse ?

Dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 janvier (l’ironie des dates donnerait presque raison à la superstition), vers cinq heures vingt, il y a eu un incendie dans mon immeuble. Le feu s’est déclenché dans l’appartement situé deux étages au-dessus du mien. Il n’a fait aucune victime, heureusement, mais a réduit en cendres tout l’appartement, y compris sa somme de souvenirs accumulés avec le temps. Il ne restait littéralement plus rien, sinon une odeur âcre et des braises mal éteintes, qui ont contraint les pompiers à revenir au cours de l’après-midi.

Lors de leur première intervention, les pompiers nous ont tous évacués dans la rue. Nous regardions, spectateurs impuissants d’un mauvais film catastrophe, leurs efforts pour venir à bout du feu. Le déploiement de l’échelle du camion, les tuyaux des lances à eau, les lumières des lampes torches au milieu de l’obscurité. Nous étions réunis, solidaires comme jamais, dans un silence chargé d’angoisse, dans une attente interminable, forcément interminable. Afin de nous mettre à l’abri, la police a fait ouvrir le McDo du coin, celui dont l’un des murs arbore la tête de Stéphane Hessel, peinte en noir au pochoir. « Indignez-vous », peut-on lire à côté d’elle. Les raisons ne manquent pas. La médiocrité politique actuelle est une. Le mépris, symptôme du délitement du tissu social, en est une autre. J’en ai fait l’amer constat cette nuit-là dans ce fast-food où je me suis retrouvée malgré moi à cause de l’incendie.

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L’indignation en bas de chez moi

Sur le mur blanc immaculé du McDo qui fait face à mon immeuble, plus précisément. La présence de ce pochoir à l’effigie de Stéphane Hessel dénote. Curieusement, pour l’instant, il résiste au service de nettoyage, qui a peut-être pris au mot son slogan insurrectionnel « Indignez-vous ! », rendu célèbre par le livre éponyme dont la première édition s’est vendue à 2,2 millions d’exemplaires en France (4 millions dans le monde). Combien de temps encore tiendra-t-il ? Depuis une dizaine de jours, il m’interpelle…

1,2,3… 2012 !

Prêts ? Partez !       

…T R É P I D A N T E   A N N É E   2 0 1 2    À   V O U S

Godard vs Woody

Au jeu des comparaisons, tout se joue dans les détails. Prenez ce dessin pioché sur le blog Paris versus New York, a tally of two cities, qui croque les différences entre les représentations culturelles de la Big Apple et de la ville Lumière : une épure où seuls la ligne des lunettes et le placement de deux points noirs en guise de regard suffisent à incarner l’expression de deux réalisateurs devenus des icônes de leur vivant.

Séparés par un océan, l’Américain Woody Allen, amoureux de Paris et du jazz, et le Suisse Jean-Luc Godard, retiré dans son canton de Vaud, n’ont rien à voir. Si ce n’est par leur statut de cinéastes singuliers et cinéphiles, eux qu’on identifie si facilement à leur personnage de composition. Woody est à New York ce que Jean-Luc est à la Nouvelle Vague, un symbole. Entre le premier qui, en gai pessimiste, imprime sur la pellicule sa vision de la vie où tout n’est que mélange de contraires irréconciliables, confrontation du transcendant et du trivial, et le second, ermite mélancolique qui se tient en marge, n’aime rien tant que provoquer, se faire détester, rompre les amarres, entretenir une solitude blessée, il y a ce trait d’union formé par l’humour. L’art de tourner en dérision une réalité absurde, humiliante ou injuste pour s’en sortir. L’art des formules aussi. Allen manie la légèreté (de stand-up comédie), les aphorismes et gags virtuoses, Godard les calembours et les saillies intellectuelles. Il a construit son existence et son œuvre sur les ruptures : il commence par quitter sa famille, issue de la grande bourgeoisie protestante (l’anecdote, savoureuse, mérite d’être racontée : ce grand lecteur, admirateur de Bernanos, Julien Green, Malraux…, était aussi kleptomane. A presque dix-sept ans, il vola chez son grand-père, Julien Monod, dans sa collection baptisée le « valerianum » des premières éditions de Paul Valéry, qu’il revendit à la librairie Gallimard, juste en face, boulevard Raspail. En guise de punition, il fut exclu du clan familial). D’autres ruptures violentes jalonnent son parcours : avec ses amis (François Truffaut, Jean-Pierre Gorin…), avec les femmes (Anna Karina, Anne Wiazemsky…). Sur le plan créatif, il ne cesse de se métamorphoser. Dandy introverti réinventant la grammaire cinématographique avec A bout de souffle, esthète avec le Mépris, révolutionnaire marxiste et iconoclaste avec le groupe Dziga Vertov, essayiste crépusculaire avec Histoire(s) du cinéma, bref un filmeur compulsif tel un graphomane, jamais là où on l’attend, pratiquant toujours les collages, citations, montages, ruptures (encore) fascinants ou déroutants.

Les deux hommes se sont rencontrés une fois, en 1986, pour le projet de Godard autour du King Lear de Shakespeare. Allen fut contacté pour y jouer le rôle du bouffon, Jester. Le « carton d’invitation » de Godard est à son image, ambivalent, surprenant : « Merci infiniment d’accepter d’“être ou ne pas être” avec moi lors de ce long voyage vers la création de la langue moderne, c’est-à-dire Shakespeare. » La collaboration se résuma à une interview filmée de vingt-six minutes (Meeting Woody Allen) et une prise « vite bouclée », comme le rapporte Antoine de Baecque dans sa monumentale biographie, richement documentée, sur « l’impossible M. Godard », à la page 667. Woody Allen confiera plus tard : « Cela n’avait aucun sens pour moi quand je le faisais, mais je savais que c’était en de bonnes mains », et : « J’avais l’impression d’être dirigé par Rufus T. Firefly (le personnage joué par Groucho Marx dans Soupe au canard), vous savez, quand Groucho est censé être un grand génie et que personne n’ose remettre en question. » 

  • Antoine de Baecque, Godard, biographie, Grasset, 2010.

Dame de cœur

« MERTEUIL : Fi, Valmont. Et gardez votre compliment pour la dame de votre cœur, où que se situe cet organe. J’espère pour vous que la nouvelle gaine est dorée. Vous devriez me connaître mieux. Amoureuse. Je nous croyais d’accord là-dessus, ce que vous appelez l’amour est l’affaire des domestiques. Comment pouvez-vous me supposer capable d’un mouvement aussi bas. Le bonheur suprême est le bonheur des animaux. Assez rare qu’il nous tombe du ciel. Vous me l’avez fait éprouver de temps en temps, quand il me plaisait encore de vous utiliser à cela, Valmont, et j’espère que vous ne repartiez pas les mains vides. Qui est l’heureuse élue du moment. Ou peut-on déjà dire la malheureuse. »

Avec Quartett, Heiner Müller réécrit le duel entre la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. L’affrontement des vieux amants ne se joue plus par lettres interposées mais dans un face-à-face à la violence exquise et bestiale, où « chaque mot ouvre une blessure, chaque sourire dévoile une canine ». Leur désir n’est pas encore éteint, leur fascination réciproque non plus. Pas plus que leur haine qui poursuit son lent travail de destruction et dont ce texte enlevé décrit les ravages. Ils s’amusent un temps à échanger leur rôle. Mais ces masques ne peuvent les sauver de leur cynisme. Pour ces libertins, l’amour rime avec la dépossession de soi. Il faut déclarer la guerre aux sentiments, parce qu’au fond le corps n’est que matière. Conviction que la marquise résume avec la froideur d’un scientifique desséché étudiant des rats de laboratoire : « Qu’est ce que c’est, notre âme. Un muscle ou une muqueuse. »

  • Heiner Müller, Quartett (1980), Minuit, 1982.

Dessin : David Lynch. Extrait de son livre Works on Paper, éd. Fondation Cartier/Steidl, 2011.

Remède radical à la crise

« Le capitalisme a survécu au communisme. Il ne lui reste plus qu’à se dévorer lui-même. »

Définitive, cette sentence du « vieux dégueulasse » américain Bukowski, notée dans son journal posthume à la fin du siècle dernier, n’a pas pris une ride. Mais elle restera, sans l’ombre d’un doute, un vœu pieux. Un fantasme dressé contre une autre forme de chimère pourtant bien réelle, le capitalisme financier. Celui-ci est le dernier interdit de nos sociétés qui ont appris à manier le jargon technocratique de la crise. Malgré la toute-puissance des agences de notation auxquelles il est livré en pâture, ce capitalisme-là demeure intouchable.

  • Charles Bukowski, le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau, journal, Grasset, 1999.

L’angoisse à l’approche de la Convocation (Herta Müller)

Dans la Roumanie fantôme de Ceausescu, une femme est convoquée à la Sécurité. Son crime ? Avoir nourri l’espoir d’un exil interdit. Le temps d’un trajet en tramway, elle voit défiler la ville, les gens, ses souvenirs. Sur cette trame faite d’allers et retours, Herta Müller signe un livre hanté par les questions fondamentales qui se posent à l’homme dès lors qu’il se trouve privé de l’essentiel : la liberté.

Comment résister face à la dictature ? Les personnages de la Convocation d’Herta Müller ont chacun leur méthode : l’alcool pour s’abrutir et précipiter l’oubli, l’acte héroïque (mais insensé et qui mène à sa perte) ou son envers, la trahison (calculée et qui permet de sauver sa peau). La narratrice, elle, a lancé une bouteille à la mer. Ouvrière dans une usine textile, elle a glissé un message dans la poche d’un pantalon qui devait être exporté vers l’Italie. Destinataire : un Italien qui viendrait la chercher et l’emmener avec lui, comme dans un conte de fées. Mais son mot est découvert. Depuis, elle est régulièrement convoquée à la Sécurité – où un homme lui pose sans cesse les mêmes questions, avec cette terrible phrase en guise de justification : « Pourquoi être à bout de nerfs, nous ne faisons que commencer » – et recourt aux noix, censées calmer les nerfs. Elle en mange une avant chaque interrogatoire. « C’était la première de l’année, les fils humides de l’écale verte étaient encore collés dessus. Je la soupesai, elle était trop légère pour une noix fraîche, à croire qu’elle était vide. Ne trouvant pas de marteau, je l’ouvris en tapant dessus avec une pierre qui était ce jour-là dans le couloir et se trouve depuis dans un coin de la cuisine. La noix avait un cerveau mou. Il sentait la crème aigre. » Un détail que cette noix. Pourtant chez Herta Müller, les objets les plus banals font l’objet de la plus grande attention parce qu’ils nous rappellent la matérialité brute du réel ou, pour le dire autrement, le « caractère irrévocable des choses ». Ils relèvent de l’accessoire, mais opposent leur densité et leur immanence au détachement assiégeant celles et ceux qui en sont réduits à vivre chaque minute comme une éternité, comme si le temps se réduisait au seul présent.

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