Jesse Marlow, "Skip Divers", Melbourne, 2009
Parce qu’en une fraction de seconde elle capture et sauve de l’oubli des tranches de vie impromptues, la photographie de rue ou street photography nous apprend vraiment à regarder. Absorbés que nous sommes par nos écrans (ordinateurs, téléviseurs, mobiles, tablettes et autres), on a tendance à ne voir le monde qui nous entoure que médiatisé, circonscrit dans un cadre, et de ce monde une vision appauvrie, répétitive et lisse, face aux possibilités poétiques infinies qu’il recèle. Plongez-vous donc dans Street Photography Now, livre de Sophie Howarth et Stephen McLaren, pour comprendre. À eux deux, ils ont feuilleté des centaines d’ouvrages, consulté des milliers de sites Internet pour dénicher les Robert Frank, Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, William Klein, Diane Arbus, Garry Winogrand… d’aujourd’hui. Au final, ils ont retenu quarante-six photographes dont les travaux réinventent sans cesse les règles et rivalisent d’humour, de cocasserie, d’émotion, d’empathie.
Entre constat social et jeux visuels, leurs images rappellent, à toute fin utile, que tous les instants ne sont pas « décisifs » et qu’il faut bien la présence d’un œil sensible pour extraire de la jungle urbaine – ses espaces publics, de transit, ses signalisations, ses publicités, ses transformations – l’irréductible singularité de l’humanité. « Observez, furetez, écoutez, surprenez. Vous devez apprendre quelque chose avant de mourir. Vous n’êtes pas ici pour bien longtemps », conseillait Walker Evans. Jamais, les caméras de surveillance qui quadrillent les villes n’enregistreront cette magie, ces accrocs dans la réalité. Leur objectivité impassible est leur limite. Dans les images des photographes de rue, au contraire, tout est banal et rien n’est ordinaire. Chaque image montre une situation concrète et ouvre sur une altérité en suspens qui reste à décoder, et qui pose d’innombrables questions. Le livre aussi. Notamment sur la responsabilité des photographes, le droit à l’image, le recours à la fiction, l’aliénation moderne, l’attraction des villes (après New York et Paris, devenue pastiche d’elle-même, Las Vegas, Dubaï, Shanghai, Shenzen…). Sur les 300 clichés et quelques de Street Photography Now, ceux de David Gibson, Nils Jorgensen, Jesse Marlow, Richard Kalvar, Maciej Dakowicz, Bruce Gilden, George Georgiou, Paul Russell sont les plus dérisoires, les plus étonnants, les plus intrigants, les plus émouvants, les plus drôles. Logiquement mes préférés. Maintenant, place aux images. Lire la suite