Insomnie
23 septembre 2011 Laisser un commentaire
Le sommeil, si naturel qu’on n’y prête guère attention, échappe d’ordinaire à notre contrôle. Il nous dépossède, nous plonge dans un état inconscient, d’où n’émergent incidemment que quelques rêves fragiles et aveuglants comme des morceaux de banquise à la dérive. C’est pourtant cet état second, ou secondaire pour la plupart des gens, qu’a entrepris d’explorer, il y a quelques années, Pierre Pachet. Dans son essai la Force de dormir, il traque avec une patience d’insomniaque les manifestations des différents sommeils – il en existe des diurnes, des nocturnes, chacun renvoyant à une intimité unique — à l’œuvre dans la littérature. En privilégiant le champ poétique à l’investigation scientifique, il prend le parti du questionnement discontinu et illimité plutôt que de la preuve positive et définitive. On ne saurait trouver stratégie plus adéquate pour un tel sujet. Car enfin, qui peut raisonnablement soutenir comprendre le sommeil, ce territoire évanescent et composé de cycles auxquels le réveil met fin ?
Derrière un titre en forme de paradoxe, selon lequel dormir exigerait plus un effort qu’un abandon, ce livre rassemble ainsi une série d’études singulières sur le rapport des écrivains au sommeil. Coleridge et son combat spirituel contre cette forme de chute d’après sa théologie personnelle, qui ouvre la porte aux illusions. Nerval et son art du détachement, le rêve s’étant douloureusement défait, provoquant une porosité entre le sommeil et la veille, l’un « s’épanchant » dans l’autre. L’aversion de Baudelaire face à ce qui lui inspire hostilité, mépris, peur (« J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou, Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où », « Le Gouffre »). Pour lui le sommeil est synonyme d’oubli, de léthargie, de souffrances. Mais pas suffisamment pour ne pas être désiré, comme le souligne Pierre Pachet : « Il serait comme le fond éternel sur lequel se découperaient l’être et le néant, un repos de la pensée qui n’existe pas dans la nature, et dont la pensée humaine doit porter seule l’exigence. Non pas mourir au lieu de vivre, alors, mais dormir (c’est-à-dire vouloir vivre d’une certaine façon), plutôt que vivre. » Le but ultime étant le sommeil absolu, celui qui répare de la douleur de vivre et qui ne doit rien à la « pharmaceutique céleste ».