Leçons sur Camus par Raphaël Enthoven

A l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, Albert Camus revient sur le devant de la scène. Jeudi dernier, dans une conférence prononcée à la BNF, Raphaël Enthoven donnait des clés sur la pensée solaire de l’enfant d’Alger. Morceaux choisis.

Pour commencer son cycle de quatre hommages rendus à Camus (1), Raphaël Enthoven a choisi le texte « le désert » dans Noces. Le décortiquant avec la passion de l’érudit qui redécouvre toujours quelque chose à chaque nouvelle lecture, il a transmis ses réflexions non sans fougue et éclat à un public conquis. Qu’a-t-il donc dit sur les idées cet auteur inclassable trop tôt disparu ?
Ceci rapidement résumé :

A propos de l’absurde :

« L’absurde chez Camus naît de la rencontre entre le silence du monde et la demande du sens de l’homme. »

« La découverte de mon appartenance au monde – du fait que l’homme ne transcende pas la nature – est solidaire de la découverte que le monde est indifférent à ce qui peut m’arriver. »

En d’autres termes, à ceux qui cherchent un sens à la vie, Camus répond que l’on ne sort pas du ciel qui nous contient, mais que le monde est beau.

A propos de la mesure dans la révolte :

(L’homme révolté fut, on le sait, l’occasion de la rupture avec l’ami et rival Jean-Paul Sartre, car Camus y renvoie dos à dos nietzschéens et marxistes, tous deux accusés d’avoir enfanté des monstres, le nazisme et le communisme. Il affirme qu’il faut refuser la démesure au profit d’une pensée solaire, car l’esprit méditerranéen aime la nature et sait jouir des réalités ici et maintenant au lieu de sacrifier le présent aux promesses illusoires d’un avenir radieux.)

« Camus distingue la révolution (négative) de la révolte (affirmative). »

« La mesure est le point d’orgue de la révolte. Quand on veut préserver la révolte de l’écueil du conservatisme, du conformisme, et de la révolution, il faut rester dans la mesure. La démesure n’existe que dans l’amour. »

Car :

« C’est l’amour qui dicte mon rapport au monde. C’est par amour que je me révolte, car j’aime la vie malgré elle. »

« Alors que tout concourt à nous décourager de la vie, la force paradoxale et impénétrable de la joie camusienne substitue aux accommodements avec la réalité le goût de vivre. »

Pour le dire trivialement, Raphaël Enthoven a mis en lumière la leçon de vie proposée par Camus. Une tâche nécessaire tant l’œuvre de cet artiste philosophe, sans cesse sollicitée par l’événement, a été source de débats contradictoires, de malentendus, de règlements de compte d’un côté et d’idolâtrie simplificatrice de l’autre. Ce romancier, moraliste, dramaturge, journaliste, Prix Nobel à contrecœur n’est-il pas avant tout un esprit libre ?
Ceux qui l’ont injustement qualifié de « philosophe pour classes terminales », ceux qui l’ont enfermé dans la notion de l’absurde ont été démenti par l’histoire. Non seulement Camus est lu dans le monde entier, sans élitisme, mais sa pensée reste actuelle.

(1) Tout Camus. Leçons de philosophie par Raphaël Enthoven, BNF site François-Mitterrand, Grand Auditorium. 

Prochaines conférences : jeudi 18 mars, mercredi 14 avril et jeudi 15 avril 2010. 

Diffusion sur France Culture dans l’émission Les nouveaux chemins de la connaissance, du 26 au 30 juillet 2010.

  • Que lire de Camus ?
    Je conseillerais de commencer paradoxalement par la fin de son œuvre, avec Le premier homme, roman autobiographique inachevé où Camus évoque lyriquement le portrait de sa mère, celle qui ne le lira jamais. Puis La Peste, Noces, L’étranger, La chute.
  • L’actualité éditoriale liée à la commémoration de la disparition de Camus est pléthorique (une trentaine de titres). Notons la parution d’un inédit de Camus, La mort heureuse (Folio), son premier roman, ainsi qu’un Dictionnaire Albert Camus (Bouquins).
  • A noter enfin, pour les plus pressés, l’excellent supplément du Monde sur Camus, qui permet une première approche de l’œuvre, resituée dans son contexte avec des extraits de textes, d’articles, de critiques.

2 Responses to Leçons sur Camus par Raphaël Enthoven

  1. alain says:

    Merci pour ce beau billet

Laisser un commentaire